Discours d'Introduction pour "Le Tribunal sur le Congo" Milo Rau Tenu le 29 mai 2015 au Collège Alfajiri, Bukavu, RDC
La paix des coeurs et des bonnes volontés
de Milo Rau
Bukavu, 28. Mai 2015. Mesdames et Messieurs, si "Le Tribunal sur le Congo" se réunit sur mon initiative dans les trois jours suivants ici à Bukavu en RDC pour examiner les raisons économiques, identitaires, gouvernementales et géostrategiques de la guerre, de l'insécurité et de la pauvreté en Congo de l'Est, il se pose dans une longue tradition de tribunaux. Commencant avec le Tribunal International de Nuremberg (1945) - pour examiner les crimes commis par l'Allemagne Hitlérienne dans la Deuxième Guerre Mondiale - jusqu'au Tribunal sur le Vietnam (1967), le Tribunal sur l'Irak (2002) ou le Tribunal sur la Paléstine (2014) qui examinaient les crimes de guerre des troupes américaines ou israéliennes commis contre des civiles des pays respectives, ces Tribunaux ont toujours eu un charactère politique.
La légitimité du Tribunal de Nuremberg
En ce qui concerne le Tribunal de Nuremberg qui se réunissait il y a 70 ans, il était constitué des vainqueurs de la guerre seulement. Meme s'il avait été inconcevable, bien sur, à inviter des experts et des témoins Allemands à discuter la Shoah dans le meme cadre comme le bombardement stratégique des villes Allemandes, cette unilateralité restait pour les contemporains une tache sur le jugement de Nuremberg. Notons que l'Allemagne Hitlérienne, encore une année avant la fin de la guerre, était en train de préparer un tel Tribunal contre les Alliés qu'elle aurait sans doute réalisé si Hitler avait gagnée la guerre. Ce qui n'était heureusement pas le cas.
Mais l'autre tache, encore plus nuisible à la légitimité du Tribunal de Nuremberg et des Tribunaux qui s'en suivaient, était évidemment sa manque de continuité et d'universalité. Pourquoi, par exemple, un Tribunal contre les crimes de guerre commis des Etats Unis en Vietnam, mais jamais un Tribunal contre les crimes commis par l'ancienne Union Soviétique en Afghanistan quinze ans plus tard? Pourquoi un Tribunal examinant la stratégie des Américains dans la deuxième guerre d'Irak, mais jamais un Tribunal sur les crimes commis par l'armée Russe en Tchétchénie en meme temps? Pourquoi, finalement, un Tribunal International contre les Génocidaires au Rwanda, mais pas contre les crimes d'état et de guerre commis dans les pays voisins comme le Burundi ou la RDC?
La juridiction internationale est restée incomplète
De cette facon, la juridiction internationale est restée incomplète, meme accidentielle jusqu'à nos jours. Ceci pour deux raisons:
– Premièrement à cause de son charactère ouvertement politique. Pourquoi, pour prendre l'exemple le plus évident, un Tribunal à La Haye contre tel chef de milice Congolais et pas contre l'autre, contre tel dictateur Africain et pas contre l'autre, contre tel chef d'état Yougoslave et pas contre l'autre? Sans vouloir comparer ou meme minimiser leurs crimes respectifs qui resteront toujours incomparables et impregnés dans la mémoire de l'humanité par leur unique et extraordinaire cruauté, il reste à noter que derrière le choix des inculpés se laisse percevoir un préjugement suivant une logique politique. Pour le dire tout simplement: Si un chef militaire ou politique Africain ou Yougoslave est sujet d'un programme d'amnestie et de réintegration ou d'un procès à La Haye, s'il fait carrière politique ou est arreté et porté en justice, dépend de bonne partie de la nécessité politique et économique de collaborer avec tel chef militaire ou politique et pas avec tel autre. Suivant cette logique, on a vu de nombreux changements miraculeux d'anciens partenaires des états Européens et Américains en monstres, quelquefois d'un jour à l'autre – tel p. e. dans le cas de Saddam Hussein en Irak, des Talibans en Afghanistan, de Mobutu en RDC etc. Les Tribunaux médiatiques ou juridiques qui s'en suivaient, étaient constitués pour démontrer un consensus politique et pas pour le prouver au sens juridique du terme, pour rendre officielle une version des faits constituée préalablement par la politique internationale. Vae Victis, comme disaient les Romains: Mal aux vaincus.
Ces Tribunaux était leur unilatéralité idéologique
– Mais la deuxième et encore plus imporante raison pour la disfonctionalité de ces Tribunaux était leur unilatéralité idéologique qu'on vient déjà d'énoncer. Notons que dans le "Tribunal sur le Vietnam", aucun représentant officiel des Etats Unis prenait part en tant que témoin ou expert. De meme dans le "Tribunal sur l'Irak" ou, plus récemment, dans le "Tribunal sur la Paléstine", auquel était invité aucun représentant des forces civiles ou armées de l'Etat d'Israel. Bien qu'il ne s'agissait pas de forces vaincues, le jugement était déjà fait et le jury, composés uniquement de critiques de la politique des Etats respectifs, ne s'adoptait qu'à les illustrer publiquement. De cette facon, la motivation des absents restait totalement dans l'obscurité, et leurs crimes de guerre - sans doutes commises - étaient décontextualisées et ainsi dépolitisées. A la place d'examiner la désastreuse dynamique d'une guerre idéologique devenue totale (dans le cas de Vietnam) ou d'une guerre menée depuis bientot 70 ans entre deux nations peuplant le meme espace et pris en hotage de leurs leaders respectifs (dans le cas d'Israel et de la Paléstine), était mis l'illustration de la cruautée incontestable d'une guerre totale, menée contre des civiles.
"Le Tribunal sur le Congo" dont nous assisterons les trois jours suivants, se posant par son nom dans la longue tradition des Tribunaux internationaux installés par le Tribunal de Nuremberg en 1945, se voit, comme ses prédécesseurs, au service du peuple: du peuple Congolais, un des peuples les plus riches de l'Histoire humaine, mais depuis 20 ans dépossedée pour de multiples raisons de ses richesses et prise en hotage par des contradictions autant locales qu'internationales, autant politiques qu'économiques. Une bonne partie de ce Tribunal suivra alors la logique et les procédures installés par les Alliées en 1945 à Nuremberg et par Jean-Paul Sartre et Bertrand Russel en 1967 à Stockholm, se mettant du coté des dépossédés, des maltraités, de ceux qui, comme on dit, n'ont pas de lobby. Il s'agira de faire entendre et d'écouter les voix qui ne sont jamais entendus: les voix des communautés rurales, des citoyennes et citoyens Congolais, des simples creuseurs comme des petits commercants, de ces millions de femmes, d'hommes et d'enfants qu'on appelle la "société civile" et qui est confrontée avec l'aveugle effectivité de l'économie mondialisée.
La vérité d'une guerre économique
Vous tous connaissez la vérité, ce contre-point aux belles statistiques de la Banque Mondiale et de l'OCDE: C'est la vérité d'une guerre économique et politique qui est menée quotidiennement contre les communautés congolaises, à peine sortie de leurs coutumes traditionelles, une guerre qui est menée à travers des déplacements, des massacres, et, comme on va voir, à travers l'installation meme de nouvelles lois - tel le Dodd-Frank Act du Congrès amércain, qui criminalise, suivant de maintes témoignages établies par nos juges d'instruction, toute une économie locale établie pendant des dizaines d'années, favorise la politique des grandes entreprises multinationales et pousse la population dans le chomage et vers de nouvelles rébellions.
L'universalité du "Tribunal sur le Congo" se constitue alors par la totale subjectivité de ses témoignages, par le vécu souvent cruel et inhumain de cet immense procès qu'on appelle dans la langue des économistes le développement. "Le Tribunal sur le Congo" sera un Tribunal qui dénoncera au sens propre du terme, qui ne prendra pas comme dernière mésure de justice les contraintes et logiques économiques et politiques de nos jours où l'individu et son bonheur ne comptent pas beaucoup, mais qui essaiera de rétablir publiquement le droit de chaque citoyenne et chaque citoyen à la sécurité, au bonheur et à la liberté d'expression comme ils sont décrits dans la Constitution des Droits de l'Homme et dans la Constitution de la République Démocratique du Congo. Chaque voix aura la meme valeur, tant minuscule soit sa place dans la grande guerre d'opinions, d'armes, de valeurs économiques, de terres et d'identités qui est la Guerre à l'Est du Congo. L'universalité de ce Tribunal consiste alors dans l'essai de réaliser sur scène ce que Patrice Lumumba a dit dans son fameux discours lors de l'indépendance de la RDC: "Nous allons faire regner, non pas la paix des fusils et des baionnettes, mais la paix des coeurs et des bonnes volontés."
Un processus ouvert et dialectique
Il va de soi, que cette bonne volonté devra etre universelle, alors mutuelle, elle aussi – ou elle ne sera pas une vraie écoute, mais portera la tache d'un jugement préalable. Contraire à tous les Tribunaux qui ont précédé le Tribunal ici réuni et dont j'ai énoncé les noms et le fonctionnement, "Le Tribunal sur le Congo" essaiera d'etre plus qu'un Tribunal: Il sera aussi, nous espérons, un procès, alors un processus ouvert et dialectique qui non seulement dénoncera les malfaits de ce qu'on a appelle le développement, mais aussi essaiera de montrer des chemins au-delà des contradictions qui se sont établies entre l'économie traditionnelle des communautés locales et les industries modernes arrivées de l'extérieur et qui se sont traduits, sous des drapeaux identitaires et politiques, dans des guerres souvent mortelles au sein des communautés elle-memes. La question que posera le "Tribunal sur le Congo" sera alors aussi: Est-ce qu'un développement prolifère pour tous les cotés est-il possible? Comment une industrialisation sociale peut-elle etre mise en place? Et comment, finalement, peut cette industrialisation etre encadrée par les acteurs gouvernementals et internationals de telle facon que la sécurité et le bonheur du peuple Congolais soit finalement garantie?
Pendant nos recherches, nous avons rencontrés de femmes et d'hommes sages qui, tout en ayant le salut du peuple en tete, militent pour l'industrialisation et critiquent ouvertement les défais de l'économie traditionnelle, source de tant de conflits et de violation des droits de l'homme, elle aussi. Car, à notre avis, la tragédie du peuple Congolais est double: d'une part, ce grand peuple est prise comme hotage d'une guerre économique qui vise la monopolisation des richesses du pays et qui ne fait alors qu'utiliser les scissions éthniques du Congo pour affaiblir la résistance des communautés pour mieux les déposséder, suivant la logique du "divide et impera". Mais en meme temps, les scissions éthniques, les envies parfois conservateurs des différentes parties des communautés et les traumatismes de 20 ans de guerre sont elle-memes la source d'un repli sur soi-meme, un sentimentalisme dangereux qui rend impossible tout changement, tout compromis rationnel qui pourrait améliorer la situation des communautés. N'oublions pas que de la nécessaire lutte pour le bonheur et la sécurité de tel individu, telle famille, telle coopérative ou tel village, il n'est qu'un seul pas à l'égoisme local qui nuit au bonheur du pays.
Le Jury est construit suivant du débat
Voilà alors que le jury du "Tribunal sur le Congo" est construit suivant cette logique non du jugement, mais du débat: Sont présents des critiques de l'industrialisation comme elle est impliquée actuellement en Est du Congo (noms), comme des voix qui essaient de médiatiser entre communautés et industries, entre communautés et gouvernement (noms). S'y ajoutent, dans la jury, deux observateurs internationaux (noms), et, à une table séparée, deux juges d'instructions de La Haye qui vont garantir le déroulement strictement légal et formel du Tribunal: la libre confrontation des mémoires, des opinions, des douleurs tant que des éspoirs.
Vous le savez bien: Ceci est un Tribunal fictif, qui n'a pas été uni par un Etat ou une organisation internationale, qui alors dépend de personne. C'est un Tribunal symbolique, un Tribunal du peuple, un Tribunal finalement qui se sent responsable seulement de l'opinion publique. Nous savons que, tant notre essai d'impartialité soit concu dans le choix des participants et de la logique meme du déroulement (où strictement le meme processus de questionnement totalement ouvert et critique est imposé à tout participant), soit il ministre ou minier, "Le Tribunal sur le Congo" ne trouvera sa légitimité que par après: Par l'aide qu'il portera au développement - prenons se mot en son sens positif - au développement de se merveilleux pays qui est le Congo. Meme si cette aide ne consistera en rien d'autre que de laisser entendre la vérité, rien que la vérité.
Et meme si, à la fin des trois jours, le jury va vous présenter son jugement, il sera évidemment à vous, Mesdames et Messieurs d'en tirer vos conclusions.
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